La globalisation, du modèle économique au modèle culturel

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La globalisation, du modèle économique au modèle culturel

2024-07-16 06:17| 来源: 网络整理| 查看: 265

1L'interculturel est une réalité complexe. Des références culturelles multiples se croisent et se nourrissent mutuellement. Le vécu culturel apparaît souvent comme une culture hybride et originale où se retrouvent intimement mêlés des traces laissées par les cultures d'origine, des attentes portées par le groupe et l'attrait de certaines formes de modernité qui lui donne une apparence d'universalité.

2Par certains traits, les références culturelles rencontrées par les travailleurs sociaux peuvent paraître spécifiques à certains quartiers de Charleroi ou de Bruxelles où elles se sont développées. Par d'autres, elles peuvent paraître apparentées à celles des banlieues de Paris ou de New-Y ork ou de certains quartiers de Buenos-Aires ou de Kinshasa. Toutes s'inscrivent incontestablement dans le monde d'aujourd'hui dans un monde qui se trouve entraîné dans un processus de globalisation.

3Acceptée ou contestée, celle-ci apparaît comme un fait économique d'évidence mais dont l'enjeu ultime est toujours un problème de société. Les modèles d'économie et de management qu'elle véhicule reflètent les valeurs et les références culturelles des pays où ils ont pris naissance. Ils en sont également porteurs et risquent de développer à leur suite un modèle de culture à prétention universelle.

4Cet article voudrait être une invitation à aborder le thème de la globalisation sous un angle différent de celui qui est généralement pratiqué par les économistes. Poser la question des valeurs véhiculées, c'est évoquer un enjeu culturel. S'interroger sur le caractère inéluctable du futur qui se dessine, c'est invoquer la possibilité et les enjeux de la résistance culturelle.

5Trois interrogations majeures en rythment le déroulement :

Sur quel modèle économique s'appuie la globalisation que nous connaissons aujourd'hui ? Quels changements structurels ont favorisé son développement ? Et quelles en sont les conséquences les plus apparentes ? Ouvre-t-elle la voie à une culture globale qui deviendrait la culture universelle ? Ce futur est-il inéluctable ou laisse-t-il à l'être humain la possibilité de construire une culture pour le monde de demain ? I. Un modèle économique

6Se référant aux convergences internationales, les économistes parlent volontiers de mondialisation. Même dans cette acception très large dont l'histoire aurait fourni plusieurs exemples, la mondialisation contemporaine est perçue comme un phénomène interpellant [1]. Les échanges débordent la sphère des biens matériels : ils concernent aujourd'hui les capitaux, les services, les hommes, les images, les idées, les informations et les connaissances ; ils dépassent également la proximité géographique et les relations sont intercontinentales. Ce faisant, ils transforment la vie quotidienne d'une partie croissante de l'humanité sans pour autant améliorer le bien-être de tous. Les fondements de ce mouvement sont à chercher dans la théorie des avantages comparés et dans la doctrine du libre-échange dont on s'accorde aujourd'hui à reconnaître les limites  [2].

7La notion de mondialisation a une connotation spatiale qu'elle ne remplit d'ailleurs pas. Trop de pays sont toujours maintenus à l'écart de ce mouvement. Nous lui préférons le terme de globalisation qui évoque davantage une logique et un mode de fonctionnement de l'économie globale et du management qui est son fer de lance.

1. Le contenu d'une notion

8Pour aller à l'essentiel, on aurait voulu éviter le rituel des définitions successives. Le problème est que, derrière une évolution sémantique, celle d'un terme dont l'acception s'est élargie avec le temps, se cache une mutation sociale qui modifie les conditions de régulation des échanges internationaux. On ne peut donc échapper à ces prolégomènes.

9Acceptée ou contestée, la globalisation apparaît aujourd'hui comme un fait économique d'évidence. Il faut cependant rappeler qu'elle n'est ni un phénomène purement économique ni une nouveauté.

10Déjà en 1968, Marshall McLuhan publiait “War in the Global Village” [3]. Il y montrait comment le village global, résultat d'une explosion des communications, allait devenir un lieu de transformation de la vie en société.

11L'application de ce terme au monde de l'économie est plus tardive. Précisons d'abord qu'entre internationalisation, qui est élargissement des marchés, et globalisation, la différence est de nature. Avec la globalisation, nous assistons à la mise en place d'une nouvelle forme d'organisation de l'économiemonde. De nouvelles structures de marché, globales, viennent se superposer aux structures antérieures.

12Dès l’origine, ce terme a connu une acception limitée qui s'est enrichie au fur et à mesure de son usage. Il ne s’agit pas seulement d’un glissement sémantique mais plutôt de l’élargissement d’un concept à une réalité économique contemporaine.

13Au départ, le terme était associé à la notion de convergence. En 1983, pour Théodore Levitt, il s'agit de caractériser une évolution de la demande au plan mondial  [4]. Le terme de globalisation désigne la convergence des marchés dans le monde entier. Selon Levitt, la convergence est cette tendance de toute chose à devenir comme les autres. Les goûts, les préférences des consommateurs et la notion du juste prix tendraient à devenir universels. L'offre suivrait cette tendance en proposant des produits de plus en plus standardisés et une politique de marketing globale finirait par coordonner l'ensemble. La société globale vendrait la même chose, de la même manière et partout dans le monde.L'adaptation à la globalisation consisterait dès lors à ignorer les différences nationales. Cette conviction s'appuie sur l'exemple de la compétition entre Hoover et Zanussi pour conquérir le marché européen de l’électroménager. L'Américain proposait une approche spécifique pour rencontrer les attentes des ménagères européennes tandis que l'Italien proposait un modèle global à bas prix. Comme ce dernier avait emporté le marché, Levitt en tire argument pour recommander de réaliser une production de qualité à prix réduits en s'appuyant sur une technologie unifiée.

14En 1990, Kenichi Ohmae élargit cette notion à l'ensemble du processus de création de valeur [5]. La globalisation désigne alors une forme de gestion totalement intégrée à l'échelle mondiale : c'est à cette échelle que la firme multinationale déciderait de sa politique d'achat et de vente, de production, de recherches et développement, d'investissement, de mobilisation des ressources financières et de recrutement du personnel.

15On peut aller plus loin encore dans l'élargissement de l'acception proposée  [6]. Si, de la firme, on passe au plan macro-économique, la globalisation peut également désigner un processus en cours de réalisation. Dans le domaine des relations économiques internationales, nous assistons à un véritable transfert du pouvoir de décision vers les responsables économiques et financiers. A travers celui-ci, les entreprises les plus internationalisées tentent de redéfinir à leur profit les règles du jeu précédemment définies par les gouvernements des Etats, ceux-ci étant de moins en moins puissants face aux stratégies de ces entreprises. En quelque sorte, sous la pression des firmes multinationales, on serait en présence d'une construction nouvelle qui, à terme, remplacerait ce qui reste du système de Bretton-Woods.

16Enfin, en dernière analyse, la globalisation pourrait désigner une rupture nette par rapport aux différents régimes internationaux qui se sont succédé depuis l'origine du capitalisme commercial. Elle pourrait conduire à une dilution des économies nationales qui seraient réinsérées à l'intérieur d'un système de transactions opérant directement au niveau international.

17Lorsqu'on s'interrogera sur la capacité des États à arbitrer les tensions résultant de cette situation, on verra combien les tendances qui viennent d'être évoquées sont présentes et agissantes dans les relations économiques internationales.

2. Les moteurs du processus

18La globalisation n'est pas le fruit du hasard. Le rappel des principaux moteurs qui ont permis son développement souligne à quel point ceux-ci impliquent des options qui interfèrent sur les relations sociales et modifient les valeurs de référence de la société. Par ce qui lui a permis de naître et de se développer, la globalisation est déjà un phénomène culturel.

19Le développement de la globalisation, qui aujourd'hui modifie profondément les relations entre les agents économiques, s'alimente à plusieurs sources qui lui sont propres.

20Les développements de la technologie ont joué un rôle majeur dans ce processus.

21Au départ, il y a incontestablement l'industrialisation qui a révolutionné les techniques de production. Elle a ainsi rendu possible la production de masse qui, associée à l'élargissement des marchés, a remodelé la spécialisation géographique.

22Les améliorations apportées en matière de transport, maritime, ferroviaire, routier et aérien ont largement contribué à ouvrir, à une échelle inconnue aupar-avant, les marchés nationaux aux produits internationaux.

23Les avancées des technologies de la communication et de l'information ont joué un rôle déterminant dans l'évolution récente du processus. D'une part, elles ont permis une coordination en temps réel des activités des entreprises à travers le monde. D'autre part, elles ont contribué à modifier la demande en créant de nouveaux besoins, en faisant prendre conscience de l'existence de marques et de produits inconnus aux quatre coins du globe.

24Ces facteurs technologiques ont certes agi directement sur le processus de globalisation des entreprises et des marchés. Ils ont également joué un rôle d'entraînement sur les changements sociaux, institutionnels ou économiques qui, à leur tour, sont intervenus dans ce processus.

25La globalisation des marchés a été soutenue par une modification profonde des habitudes de consommation. Ce fut le cas de la naissance et de l'extension à l'échelle mondiale de la consommation de masse. Celle-ci s'est trouvée confortée par une augmentation des revenus qui fut assez généralisée dans les pays industrialisés et partielle, mais très puissante, dans plusieurs pays émergents. Ce consumérisme s'inscrit dans une dynamique de changement social qui, s'appuyant sur un système de communication de plus en plus performant, tend à s'étendre à toute la planète.

26Le processus de globalisation a également été facilité par la volonté de réduire les barrières, tarifaires ou autres, susceptibles de freiner les échanges commerciaux. Dans de nombreux pays, le courant libre-échangiste s'est accompagné d'un mouvement généralisé de dérégulation et de privatisation. A l'échelle mondiale, les instances internationales ont joué un rôle majeur dans ce sens. Elles n'ont jamais fait mystère de leur volonté : tout soutien à une politique de développement ou même de simple survie est subordonné à l'obligation de se conformer aux règles de bonne conduite de l'économie, c'est-à-dire aux règles qui facilitent les échanges internationaux.

27La diminution du rôle du secteur public s'est accompagnée d'une exacerbation de la concurrence entre entreprises ; celles-ci sont effectivement devenues plus globales. La fluidité des marchés financiers a contribué à renforcer la réallocation des ressources. Et à la fragiliser en renforçant la dichotomie entre le monde réel et le monde de la finance.

28Intimement associés et largement interdépendants, ces différents facteurs se sont révélés de puissants moteurs du processus de globalisation. Leur seule mise en place a déjà modifié profondément les règles du jeu économique : une consommation plus importante, pour davantage de personnes et pour une gamme croissante de biens et de services, l'affaiblissement de la fonction régulatrice des États, le renforcement du libre-échange et l'exacerbation de la concurrence entre les entreprises. Comme dans tout phénomène culturel, les changements des règles du jeu ne font que traduire des modifications des valeurs de référence de la société.

3. Les conséquences économiques et sociales

29La globalisation sert la cause de l'efficacité économique globale. Par elle-même, elle ne peut assurer une répartition équitable des résultats. La globalisation peut entretenir la croissance, mais elle génère aussi des inégalités et des exclusions.

30Plusieurs mécanismes économiques sont en cause [7].

31La libération des échanges va modifier la répartition des revenus à la fois entre les pays et à l'intérieur des pays partenaires à l'échange au détriment des pays et des catégories socioprofessionnelles les moins performantes en terme d'avantages comparés.

32Les économies d'échelle et les rendements croissants poussent à de nombreuses fermetures d'usine qui se font, en principe, au détriment des emplois les moins compétitifs. La spécialisation oblige à de profondes restructurations et réduit l'éventail de productions de chaque pays.

33Enfin, la libération des échanges peut enrichir une communauté, à l'échelon national ou mondial, tout en creusant à l'intérieur de celle-ci des écarts de revenus intolérables.

34Les effets pervers liés à la libération des échanges étant bien connus, ils auraient dû appeler à une vigilance particulière. Au lieu de cela, la globalisation s'est accompagnée d'un libéralisme extrême, nullement exigé par le libreéchange. La répartition des résultats n'en fut que plus inégale, tant au niveau mondial qu'à l'intérieur des économies avancées [8].

35Au niveau mondial, ces politiques de libéralisme extrême ont lourdement pesé sur les pays les plus pauvres.

36On connaît les conséquences néfastes des politiques d'ajustement structurel imposées aux pays en voie de développement. Dictées par les instances internationales pour assurer le libre échange au niveau mondial, elles entravent toute tentative de rattrapage de ces pays dont les économies, souvent exsangues, exigent des politiques macro-économiques adaptées à leur situation.

37Avec les progrès technologiques, ces pays ont perdu une bonne part de l'avantage comparatif que leur procuraient les bas salaires d'une maind'œuvre peu qualifiée. Pour eux également apparaît de plus en plus l'exigence d'une main-d'œuvre hautement qualifiée. L'accès au développement et à la convergence internationale semble désormais réservé aux seuls pays disposant de cette main-d'œuvre.

38De plus, les trop nombreuses crises financières d'origine spéculative pèsent plus lourdement sur les économies de ces pays, même s'ils figurent parmi les pays émergents. La fuite précipitée des capitaux spéculatifs prive leurs économies d'une part importante de leurs revenus.

39Enfin, dans l'application du libre-échange, on notera aussi les nombreuses discriminations pratiquées à leur égard, comme l'application de droits de douane à certaines importations vitales pour eux.

40Si leur part dans le commerce international augmente au détriment de celle des pays en voie de développement, les pays avancés subissent également le poids d'une répartition inégale des résultats de la globalisation.

41Dans un monde de plus en plus dépendant de la haute technologie, la qualification des travailleurs est devenue un élément important qui décidera de l'appartenance ou de l'exclusion du monde du travail. Cette distinction s'inscrit dans la ligne de l'évolution technologique.

42Par contre, suite à l'hypertrophie des activités financières, la valeur boursière d'une entreprise est devenue un des éléments décisifs du mode de répartition des résultats. Celle-ci n'a parfois plus grand chose à voir avec la valeur intrinsèque de l'entreprise, le volume de sa production ou la productivité de ses travailleurs. C'est pourtant sur cette base que sera décidée la survie ou la disparition d'une unité de production.

43D'une façon plus générale, alors que s'accroît la richesse globale, sous l'effet notamment de la course à la compétitivité, on assiste à des tentatives acharnées de réduire la part des salaires dans le PIB des économies contemporaines. Ces salaires représentent pourtant la majeure partie des revenus de la population active.

II. Une culture universelle ?

44Les conséquences de la globalisation ne sont pas seulement économiques et sociales. Elles sont aussi culturelles.

45Dans la mesure où les systèmes de management véhiculent avec eux leur lot de valeurs culturelles, on peut craindre de se trouver entraîné dans une tendance à l'uniformisation des références culturelles. Celle-ci s'inscrirait dans le contexte des changements assez profonds qui s'observent dans les modes de vie, les moyens de communication et les conditions d'accès au savoir que permet l'actuel développement des technologies et particulièrement des technologies de la communication. Même s'il aboutit à de nouveaux clivages, il contribue à rapprocher les uns et les autres.

46Il fait d’ailleurs partie de ce que parfois on désigne sous le nom de modernité, assez largement associée au monde occidental et qui exerce un attrait culturel certain. Sans prétendre en donner une définition exhaustive, nous pouvons tenter d’en évoquer quelques traits.

47Aujourd’hui, la modernité apparaît d’abord dans ces développements technologiques qui reculent les frontières du possible dans tous les domaines de la vie. Pour ceux qui en bénéficient, c’est parfois une croissance des revenus et la possibilité d’accéder à une gamme de produits technologiques de plus en plus domestiqués. Mais c’est aussi d’autres relations de travail où l’humanisation des conditions de travail n’a pas nécessairement progressé.

48La modernité, c’est également une organisation de la société où sont généralement séparés le temporel et le spirituel, organisation qui repose sur un état de droit et qui s’accommode d’un large pluralisme social dans un système de démocratie politique.

49La modernité, c’est enfin une idéologie caractérisée par un profond individualisme.

50Tout comme l’Occident qui la porte, cette modernité fascine et attire. Mais elle est complexe et elle peut également faire peur.

51Elle fait peur dans la mesure où, trop liée à la culture occidentale, elle risque de devenir un symbole heurtant ; dans la mesure où, trop engagée dans des choix de valeurs, elle peut donner l’impression à ceux qui y adhèrent de devoir se renier.

52Elle fait peur et peut engendrer un sentiment d’aliénation si, dès lors qu’on choisit la modernité, les liens et les relations traditionnelles se desserrent et risquent de se rompre.

53Elle fait peur et peut susciter des réactions de refus. Ou des réactions mitigées comme celle de la Chine qui, d’un côté, accepte de participer à l’économie mondiale dans un jeu capitaliste et, de l’autre, renforce l’autoritarisme et se réengage dans la culture chinoise traditionnelle.

54Et pourtant, malgré ce sentiment de crainte et certaines attitudes de rejet, la formation plus largement diffusée, le développement des communications, les avancées technologiques et l’attrait de certains avantages de la modernité poussent inlassablement à un rapprochement des cultures.

55Peut-on en déduire, comme certains le pensent, qu’on s’oriente vers une sorte de culture universelle ?

56Certes, le monde contemporain connaît un formidable développement des échanges et des interactions. Les personnes, les connaissances, les idées, l’argent, les technologies, les biens matériels, les images, la musique, tout se déplace beaucoup plus, beaucoup plus vite, beaucoup plus facilement et à un coût beaucoup moins élevé que par le passé. On assiste à la distribution mondiale de certains produits emblématiques qui ont modifié les habitudes de consommation. Parmi ceux-ci figurent en bonne place les biens dits culturels comme les séries télévisées, les productions audiovisuelles, les magazines et, aujourd’hui, les communications sur les réseaux Internet.

57Cependant, sous peine d’assimiler la culture aux produits culturels, on ne peut considérer que ces échanges économiques suffisent à fonder une culture universelle.

58L'explosion des communications n’entraîne pas nécessairement une convergence des attitudes et des croyances : on peut se divertir sans se convertir. Bien plus, alors que les Occidentaux se réjouissent de la prolifération des médias mondiaux et qu’ils y voient le signe d’une intégration globale, les non-Occidentaux y voient un effet pervers de l’impérialisme occidental. De surcroît, l’ampleur de la mainmise de l’Occident sur les communications globales est une source de ressentiment et d’hostilité des non-Occidentaux à l’égard des Occidentaux. Enfin, l'accès aux moyens de communication est inégalement réparti entre les populations [9].

59En définitive, la revendication d’une culture universelle ne serait-elle pas une forme de résurgence de l’ethnocentrisme occidental ? À ce propos, on doit ici rappeler cette réflexion que Gabriel García Márquez prêtait à Simon Bolívar : «Los europeos piensan que sólo lo que inventa Europa es bueno para el universo mundo, y que todo lo que sea distinto es execrable» [10]. Ou encore les propos de Issiaka-Prosper Lalèyê : «Et comment ne voyons-nous pas que ce qui nous est aujourd'hui offert comme concept de raison n'est, en fait, que la raison qu'expérimente l'Occident et qui est subrepticement projetée à l'horizon de toute l'humanité comme un absolu et un transcendant ?» [11].

III. Un futur inéluctable ?

60Lorsque la globalisation apparaît comme une source de nouvelles exclusions et que celles-ci deviennent insupportables, on assiste à d'inévitables remises en cause qui portent soit sur les modalités d'application soit sur son principe même.

61Lorsque la globalisation veut imposer des modèles de gestion universels parfois trop éloignés des réalités et des références locales, elle peut provoquer une résistance que tentera de canaliser le management interculturel.

62Lorsque la globalisation tend à couler le monde entier dans un moule culturel uniforme, elle peut appeler à de nouvelles solidarités et à la recherche de nouvelles références culturelles.

63Chaque fois, la globalisation est là, porteuse de progrès et lourde de menaces. Fait d'évidence, elle ne disparaîtra pas. Mais quel que soit le point de vue par lequel on l'aborde, reste toujours ouverte la possibilité de lui donner un visage plus humain. Que ce soit dans le partage de la richesse des nations, dans la gestion des entreprises ou dans la construction d'une culture pour le monde de demain.

1. Les remises en cause

64Elles viennent d'abord de l'extérieur. Des manifestations se succèdent pour dénoncer les effets pervers de la globalisation. De Seattle en novembre 1999, contre la réunion de l'OMC, en Québec en janvier 2001, contre le sommet des Amériques, en passant par Washington, Genève, Prague ou Nice, elles traduisent une réelle inquiétude de l'opinion publique face aux problèmes d'emploi et de répartition.

65Le forum social de Porto Alegre, organisé aux mêmes dates que le forum économique de Davos, en janvier 2001 exprime toujours la même inquiétude face aux conséquences apparentes de la globalisation. La nouveauté a consisté à avancer des propositions concrètes comme l'annulation de la dette des pays en développement, l'instauration d'une taxe sur les transactions financières et la lutte concertée contre les paradis fiscaux. Il réclamait en outre une intervention des pouvoirs publics pour contrôler le jeu libre du marché. Par le côté positif de sa démarche, la contestation a ainsi gagné en crédibilité et le forum social a acquis une valeur symbolique qui ne permet plus d'ignorer les préoccupations que suscite une pratique non contrôlée de la globalisation.

66La remise en cause est aussi venue de l'intérieur. Le forum économique de Davos qui, depuis 1970, réunit des responsables de très importantes entreprises multinationales, de plus en plus de chefs d'Etat, de leaders politiques et syndicaux, s'est lui aussi préoccupé des retombées de la globalisation. Il a mis l'accent sur les solidarités mondiales entre les économies avancées et les économies retardées ainsi que sur les effets négatifs en matière d'emploi et de répartition.

67Bien que convaincus des vertus fondamentales du libre échange, un grand nombre d'économistes se préoccupe aujourd'hui d'assurer une régulation plus efficace de la globalisation. Certains visent simplement à permettre un meilleur fonctionnement du libre échange [12]. D'autres veulent assigner à cette régulation une responsabilité dans la recherche du bien commun. Le rôle de l'Etat y est rappelé mais aussi sa faiblesse face aux pressions des acteurs dominants [13].

2. Le management interculturel

68La réalité managériale contemporaine repose largement sur une logique universaliste. Avant les années quatre-vingt, dans un environnement économique qui le permettait, les entreprises multinationales ont pu se contenter d’exporter des systèmes de management qui avaient fait leurs preuves dans les pays où ils avaient été élaborés et où ils avaient acquis un statut de scientificité et d’universalisme. Développée d’abord en Amérique du Nord, cette logique universaliste a été largement adoptée, parfois avec une certaine fascination, par les pays d’Europe de l’ouest. Elle entraîna aussi de nombreux pays d’Amérique latine et fut appliquée également dans les entreprises multinationales d’Asie et d’Afrique et, plus récemment, dans les pays de l’Est européen. Le Japon a longtemps été le seul à vouloir s’approprier des apports externes pour les adapter à ses propres spécificités culturelles [14].

69Cependant, les comportements des entreprises multinationales sont loin d'être uniques. La tradition américaine, généralement appuyée par une forte culture d'entreprise, préfère une approche convergente et une stratégie globale des marchés qui devrait transcender les différences culturelles. En Europe et en Asie, la notion de globalisation s'accommode plus facilement d'une approche plus ouverte. Un peu partout, des exemples attestent d'une volonté de prendre en compte les composantes spécifiques qui interviennent dans la gestion des entreprises locales.

70Quel en est l'enjeu ?

71Ignorer la diversité culturelle peut conduire à des erreurs de gestion. On en connaît beaucoup d'exemples : depuis les fusions qui ont échoué par méconnaissance des différences culturelles jusqu'à la perte d'une clientèle traditionnelle qui n'a pas accepté la présentation standardisée d'un produit pourtant inchangé, sans compter les nombreux conflits internes et les ruptures de communication rencontrées par les entreprises multinationales qui n'ont pas su gérer cette diversité culturelle.

72Inquiètes, les entreprises se demandent comment maîtriser cette situation. Mais l'univers de la diversité culturelle est complexe et parfois insaisissable. En apparence, la technologie est partout la même et des pratiques universelles de gestion devraient suffire. Pourtant des résistances surgissent, apparemment sans fondement, larvées et irritantes, des malentendus surviennent [15].

73De plus, des conflits peuvent apparaître entre deux approches, globales et locales. Comment l'entreprise doit-elle gérer l'équilibre des pouvoirs entre la direction d'une filiale, centrée sur la stratégie du pays, et la direction générale qui privilégie une stratégie d'ensemble ?

74L'enjeu devient celui du management interculturel [16].

75Le management interculturel peut être considéré comme une forme de management qui est capable :

de reconnaître l’existence de cultures différentes ; d’intégrer les valeurs sur lesquelles reposent ces cultures dans l’exercice des différentes fonctions d’entreprise ; de combiner la prise en compte des spécificités culturelles avec les impératifs stratégiques globaux.

76Des situations de management interculturel sont presque toujours présentes dans le cas des entreprises multinationales. Elles peuvent également se rencontrer à l'intérieur d'un même pays ou au sein d'une même entreprise.

77Pour une entreprise, s’inscrire dans une approche interculturelle n’est pas une tâche simple. Cela implique d'abord de connaître et de reconnaître les autres cultures. Mais cela suppose tout autant une grande capacité de souplesse et d'ouverture de la part des membres de l'entreprise et de ses partenaires.

78Au-delà des recettes qui donneraient l'illusion de découvrir facilement d'autres cultures, au-delà des techniques à appliquer ou des outils prêts à l'emploi dans toute situation interculturelle, la mise en œuvre du management interculturel consiste surtout en une capacité à remettre en question des méthodes de gestion qui ont pourtant fait leurs preuves et à s'ouvrir à d'autres modèles de société et donc aussi à d'autres modèles d'économie et d'autres modes de management.

3. Une culture à construire

79Le monde d'aujourd'hui est paradoxal. Il est tout à la fois global et tribal. La tendance à la globalisation renforce le besoin de s'appuyer sur des groupes où trouver des repères existentiels. L'identité contemporaine est souvent faite de multiples appartenances. On ne peut ignorer cette complexité sans danger grave : réduire l’identité à une seule appartenance risque fort d’en faire une «identité meurtrière ». Il est temps d’abandonner ces classifications qui opposent tradition et modernité. Beaucoup de cultures vécues intègrent des éléments de l’une et de l’autre et apparaissent ainsi comme des cultures hybrides [17].

80À la fois fortes et multiples, ces appartenances plurielles s'inscrivent dans un mouvement de globalisation. Les racines culturelles et les références premières vont-elles s'effacer devant cette inéluctable globalisation ? [18] Rien n'est moins certain car «le monde d’aujourd’hui donne aussi à ceux qui veulent préserver les cultures menacées le moyen de se défendre. Au lieu de décliner et de disparaître dans l’indifférence comme ce fut le cas depuis des siècles, ces cultures ont désormais la possibilité de se battre pour leur survie.»  [19] Il faut cependant éviter de reproduire simplement le passé. Aujourd'hui, la création culturelle accède à une dimension nouvelle : celle qui repose sur le sentiment de participer aussi à l’aventure humaine ? Et d’y participer à l’échelle où elle se joue, celle d’une culture de la «modernité-monde» comme la désigne Renato Ortiz. Son ampleur contemporaine ne manquera pas de faire surgir de nouvelles manifestations culturelles. Mais avant tout, elle sera différente parce qu’elle appelle une nouvelle façon «d’être au monde», reposant sur de nouvelles valeurs et une nouvelle légitimité [20].

81On a pu dire de la culture qu'elle est la façon dont les humains humanisent le monde. C'est elle qui interprète et donne sens à la relation que l'homme entretient avec les autres hommes et avec son environnement.

82Face à de nouvelles réalités, la nouvelle culture mondiale devra dépasser bon nombre de certitudes sur lesquelles reposaient les cultures élaborées dans un monde cloisonné et qui ne cadrent plus avec la complexité de la société globale [21].

83Capable d'intégrer des éléments et des faits séparés en une cohérence réintégrable dans la vie et dans l'action, la culture sera de plus en plus celle de la complexité. J. de Rosnay la perçoit comme une culture fractale dans le sens où des motifs identiques se retrouvent à des échelles différentes d'observation. «Quel que soit le niveau ou le degré de densité atteinte, chaque personne, chaque peuple est porteur d'une culture globale et non d'une partie de la culture, d'une sous-culture aliénable par d'autres» [22]. La culture de chacun ou de chaque groupe de quartier serait aussi porteuse de celle de l'humanité.

84S'interrogeant sur la façon «d'être au monde», la culture de demain devra affronter, dans leur complexité, les questions essentielles de l'humanité dans sa globalité. Elle ne pourra éviter celle qu'incessamment nous rappelle Albert Jacquard [23] et qui interpelle particulièrement l'économie dans ses habitudes de production et de consommation : combien la terre peut-elle supporter durablement d'humains ayant le comportement des Occidentaux actuels, comportement sur lequel la plupart des peuples rêvent de s'aligner ?



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